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Être homo au bureau

LE MONDE | 21.01.2013 à 15h21 • Mis à jour le 21.01.2013 à 16h45 par Annie Kahn

 

Isabelle, chef de service, devait étoffer son équipe. Après avoir rencontré plusieurs candidats, elle en sélectionne un et le présente à son patron pour un dernier entretien. La réaction du dirigeant la sidère : « As-tu réalisé : il est homosexuel. »

 

Réponse : « Effectivement. Son attitude est sans équivoque. Et alors ? » Le candidat sélectionné fut embauché. Et on n’en parla plus.

 

Dans certaines entreprises, la discrimination contre les homosexuels reste une réalité.

 

Un rapport de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) de 2008 révélait que 12 % des homosexuels déclaraient avoir été écartés d’une promotion interne, 8 % avoir été discriminés lors d’un recrutement, 4,5 % avoir été licenciés ou forcés de démissionner à cause de leur orientation sexuelle, rappellent Thierry Laurent et Ferhat Mihoubi, professeurs d’économie à l’université d’Evry-Val-d’Essonne (Le Monde Eco & Entreprise du 15 janvier).

 

Les chercheurs ont calculé que les hommes homosexuels (mais pas les femmes) ont une rémunération inférieure de 6,2 % en moyenne, à celle de leurs homologues hétérosexuels dans le privé et de 5,5 % dans le public.

 

LES PRÉJUGÉS ONT LA VIE DURE

 

Mais plus que les discriminations, les préjugés – ou peut-être encore davantage, la crainte des préjugés – ont la vie dure.

 

Dans le film documentaire de Sébastien Lifshitz Les Invisibles, une femme lesbienne, retraitée, témoigne : « Quand je prenais un pot avec une collègue, il arrivait très souvent qu’elle parle de ses amours, de ses enfants. Je me disais qu’il ne fallait pas me taire. Je prenais mon courage à deux mains pour dire que je vivais avec une femme. Les gens étaient abasourdis.

 

 » Aujourd’hui, la crainte de parler demeure. Selon une étude publiée en juin 2011 par le Center of Work-Life Policy, centre de réflexion américain, 48 % des employés homosexuels, bisexuels ou transgenres (HBT), cachent leur orientation sexuelle, aux Etats-Unis. Or, ajoutent Sylvia Ann Hewlett et Karen Sumberg, coauteurs de l’étude, les HBT qui n’ont pas fait leur coming out, se sentent isolés au travail. Conséquence, ils évoluent moins facilement.

 

Quelque « 71 % des employés HBT qui ont progressé vers des postes de direction ont fait leur coming out ». Ceux qui se dissimulent « doivent faire énormément d’effort pour y parvenir, ce qui leur laisse moins d’énergie pour travailler », expliquent les auteurs.

 

« Il faut donner l’illusion à l’autre que vous partagez son discours. Le premier ennemi ou allié qu’on a en face de soi, c’est d’abord soi-même », estime M. Lifshitz.

 

Pour faire tomber ces barrières – objectives ou pas – et ainsi tirer le meilleur de leurs collaborateurs, près de 60 % des 500 premières entreprises américaines (Fortune 500) offrent désormais les mêmes avantages aux conjoints, qu’ils soient homo ou hétérosexuels.

 

En France, quelques entreprises ont ouvert le chemin, comme Orange, Randstad et SFR. Sans attendre qu’une loi n’offre à tous les mêmes droits.

 

kahn@lemonde.fr par Annie Kahn

 

Source : http://www.lemonde.fr/economie/article/2013/01/21/homo-au-bureau_1819811_3234.html