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Condamnées par la loi, les discriminations frappent toujours massivement les lesbiennes, gays, bi et transsexuels.
Mieux prises en compte par certains syndicats et employeurs, elles restent trop souvent tues par les victimes. Mais même en cas de plainte, elles échappent aux sanctions.

 

«RH : ressources homophobes. » Le titre du chapitre « Travail » du rapport 2010 de SOS Homophobie en dit long sur la manière dont les lesbiennes, gays, bi et trans (LGBT) vivent leur orientation sexuelle au travail. Mal, voire très mal. De la « simple » moquerie au licenciement pour « lenteur », sans oublier la case placard, le passage à tabac et autres joyeusetés, le spectre des agressions quotidiennes dont ils font l’objet est aussi large qu’inquiétant.

 

D’après une étude publiée le mois dernier par l’association L’autre cercle, près de 20 % des LGBT considèrent en effet que le climat dans leur entreprise ou organisation leur est hostile, quand 36 % des répondants attestent avoir déjà directement fait les frais de comportements homophobes. Des chiffres alarmants, qui n’attestent pas de progrès fulgurants au regard de la même étude réalisée quatre ans plus tôt. Pourtant, imperceptiblement, les lignes ont bougé. « Lorsque l’association L’autre cercle a vu le jour il y a douze ans, l’homophobie au travail n’était même pas un problème », se souvient sa présidente, Catherine Tripon. Et pour cause : « A l’époque, personne n’en soupçonnait l’existence, puisque personne n’osait en parler. »

 

Engagés dans un long projet de sensibilisation, les bénévoles de L’autre cercle s’emploient donc à rassembler des données, à l’aune de leurs spécialités professionnelles, pour concocter des outils pédagogiques appropriés à chaque secteur, de l’agriculture aux télécommunications, en passant par l’enseignement et l’industrie, deux domaines particulièrement exposés. Malgré leurs efforts, ce n’est qu’en 2003, avec la sortie d’un livre blanc sur le sujet, que ces violences subies par des milliers de personnes ont enfin été rendues publiques. Parmi les premiers collaborateurs de ce rapport, quelques poids lourds, comme la mairie de Paris ou la CGT, dont Bernard Thibault se fait le porte-voix. La présence de ce dernier marque un pas en avant très attendu du côté syndical, où de nombreux militants ne percevaient pas jusqu’alors la lutte contre l’homophobie comme une priorité.

 

Depuis, si la CGT et SUD ont instauré des comités spécifiques pour défendre les droits des salariés LGBT, leurs initiatives demeurent isolées. Souvent, les principaux concernés doivent avant tout compter sur eux-mêmes pour faire valoir leurs intérêts au sein des organisations qui les emploient. Certains se structurent donc en collectifs, comme Mobilisnoo chez Orange ou Gare ! à la SNCF. « Les syndicats font partie de nos interlocuteurs privilégiés », explique Philippe Chauliaguet, porte-parole du réseau Homoboulot, qui fédère ces associations. « Nous leur faisons comprendre que si aucun cas ne remonte, ce n’est pas parce qu’il n’y a pas d’homophobie, mais parce que les victimes n’osent pas porter plainte. Terrifiées à l’idée de se rendre visibles, beaucoup tombent en dépression, s’arrangent pour être mutées ou finissent par démissionner. »

 

Membre du collectif Comin-G, qu’il a contribué à fonder au ministère des Finances, Philippe Chauliaguet est régulièrement confronté à des hauts fonctionnaires qui n’osent pas adhérer, craignant d’être percés à jour et de mettreen péril leur carrière. Une précaution largement partagée si l’on en croit les 67 % de répondants à l’enquête de L’autre cercle qui préfèrent taire leur orientation sexuelle.

 

« C’est insupportable de devoir constamment parler au neutre de son conjoint, de mentir un peu plus chaque jour à son entourage professionnel », témoigne Anne, secrétaire technique dans le BTP. « Chaque moment de convivialité tourne à l’enfer, on ne peut rien partager alors que les collègues hétéros affichent volontiers des photos du petit dernier au bureau. Cet isolement est difficile à concevoir tant qu’on n’y est pas directement confronté », poursuit-elle, pointant du doigt l’argument fallacieux de la frontière vie privée-vie professionnelle. « Tu sais, on est très tolérant ici, même pour les homos, du moment que ça se voit pas trop. » Cette petite phrase, « qui martèle encore le cliché selon lequel l’orientation sexuelle serait un choix à assumer discrètement chez soi, au même titre qu’un hobby un peu honteux », Olivier aurait préféré ne jamais l’entendre prononcer ostensiblement devant lui en salle des profs.

 

Globalement, le monde du travail que dépeint l’étude de L’autre cercle ne présente pas un visage très « gay friendly » : 33 % des salariés interrogés travaillent dans des structures où aucun droit n’est ouvert aux couples pacsés (assurance, décès, mutuelle ), et seulement 13 % d’entre eux mentionnent l’existence d’une charte de la diversité où l’orientation sexuelle compte parmi les critères.

 

Jean-Michel Monnot, directeur « diversité » pour Sodexo, peut se vanter de faire partie de cette minorité. Il concède toutefois que ce n’est pas la panacée. « On prépare des ateliers pour sensibiliser nos collaborateurs, mais c’est encore tout frais. Nous sommes très en retard par rapport aux entreprises britanniques sur le plan des bonnes pratiques. » Et c’est un euphémisme.

 

Dans 92 % des cas d’agressions homophobes avérées, les auteurs ne sont tout bonnement jamais inquiétés par la hiérarchie. Pire : c’est parfois la victime qui trinque. Jean-Bernard Geoffroy, avocat et président fondateur du Réseau d’assistance aux victimes d’agressions et de discriminations (Ravad), en a fait la curieuse expérience. « Un jour, un homme m’appelle. Victime d’un harcèlement manifeste sur son lieu de travail, il se confie à ses supérieurs qui ne mouftent pas. Il saisit donc la Halde, qui reconnaît les faits. Le directeur est alors rappelé à l’ordre et l’administration prend acte, en mutant l’auteur des injures pour le sanctionner et en lui administrant le même sort ! Moralité : il s’est retrouvé affecté à des tâches moins gratifiantes, à 50 kilomètres de son domicile. »

 

source : Flora Beillouin
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